C’est un constat largement partagé, tant par les porteurs de projets que par leurs partenaires bancaires et financiers : les modèles de l’économie circulaire paraissent trop spécifiques pour que les analyses de risque puissent être réalisées de manière classique. Ce n’est souvent pas tant que les projets sont considérés comme trop risqués, c’est que les risques sont un peu nouveaux, et mal compris.
La question de l’interdépendance
Une première caractéristique, partagée par un grand nombre de projets d’économie circulaire, provient de leur caractère coopératif. Les écosystèmes vivants ne s’appliquent pas loi du plus fort, comme on l’a longtemps considéré, mais davantage celle de la coopération, et les projets d’économie circulaire s’en inspirent. La coopération est une valeur positive, elle crée de la valeur. Mais du point de vue du financeur, cela représente une complexité nouvelle dans l’appréhension du risque, les acteurs se mettant en situation d’interdépendance. Le risque de contrepartie, initialement centré sur les clients, s’étend aux partenaires. Cette dimension est frappante pour les projets d’Ecologie Industrielle et Territoriale : quand on investit dans un tuyau pour échanger de la chaleur entre deux sites industriels, parce qu’un site a besoin de froid et son voisin de chaud, chacun devient dépendant de l’autre, sans forcément disposer de solutions de repli immédiates en cas de défaillance du partenaire. Il ne s’agit pas simplement du remboursement du tuyau : c’est l’activité de chacun des deux sites qui peut être en jeu.
Pour contrer cette difficulté, notre première proposition consiste à gréer un fonds de garantie dédié à la couverture de ce risque nouveau. C’est un mécanisme relativement classique, et facile à mettre en œuvre ; il pourrait être porté conjointement par la Banque des Territoires et l’Ademe.
Pour être encore plus pertinent, il pourrait être abondé par la valorisation des externalités environnementales positives générées par ces projets
La proximité des missions de service public
Les projets d’économie circulaire, et particulièrement ceux qui visent à travailler sur le recyclage et la valorisation, concourent à l‘intérêt général – et c’est bien ce qui fonde une partie de leur valeur. Mais leur intervention, par définition, est proche de la mission de service public dont les collectivités ont la compétence, qu’elle soit conduite en interne ou confiée à un délégataire. Presque paradoxalement, cela peut représenter un frein pour les financeurs, qui peuvent légitimement demander à ce que ces acteurs soient partie prenante du projet– alors qu’il peut aller à l’inverse de l’intérêt économique du délégataire, lui-même le plus souvent rémunéré en fonction des volumes de déchets traités -, en garantissent la pérennité – alors qu’on pourrait voir une certaine logique à ce qu’ils l’internalisent, en générant une sorte de concurrence déloyale.
La solution existe, et commence à se déployer sur nos territoires : la constitution de SCIC impliquant à la fois le porteur de projet les collectivités territoriales concernées, et selon les cas d’autres parties prenantes. Reste que le niveau de maturité des élus et des techniciens des collectivités sur cette question est encore très insuffisant, et les craintes voire les oppositions nombreuses – au nom par exemple du principe de la libre concurrence, que la collectivité ne saurait fausser. Et, lorsqu’on dépasse ces premiers freins, la lourdeur de gestion et de gouvernance d’une SCIC, le manque de réactivité de la collectivité territoriale, peut légitimement faire peur au porteur de projet.
Notre seconde proposition consiste ainsi à développer des formations à destination des élus et techniciens des collectivités locales, pour leur permettre de mieux s’approprier l’outil prometteur des SCIC, en le rendant le plus flexible et agile possible.
La spécificité du modèle d’économie de la fonctionnalité et de la coopération
Quand une entreprise ne vend plus un produit, mais l’usage qu’il permet, les implications positives sont nombreuses : elle cherche à augmenter la durée de vie de son produit, à en intensifier l’usage, à identifier chaque gisement de valeur pour son client, dans une relation gagnant-gagnant sans équivalent. Elle tisse le plus souvent des relations partenariales nouvelles sur son territoire, et favorise le développement d’emplois locaux liés au service et à la maintenance des équipements. C’est pourquoi l’EFC, l’un des sept piliers de l’économie circulaire, est présentée comme un axe prometteur de la transition écologique et solidaire, et est soutenue par les acteurs institutionnels régionaux, nationaux et européens.
Si l’économie de la fonctionnalité et de la coopération présente une grande variété de projets, trois caractéristiques permettent de la définir :
- Passer de la vente d’un produit à celle d’une performance d’usage,
- Consommer moins de ressources pour produire plus de valeur, sortir des modèles volumiques,
- Rechercher la coopération pour optimiser le résultat
Dans de très nombreux cas, le financement des équipements est la difficulté principale que rencontrent les entreprises qui souhaitent développer une offre en EFC. Leur structure de bilan évolue pour se rapprocher de celles des acteurs spécialisés dans le crédit-bail, sans que leurs partenaires bancaires ne puissent accompagner cette évolution, et accepter les ratios financiers correspondant. Le financement via crédit-bail, s’il vient naturellement, s’avère complexe pour ne pas dire inadapté. Parallèlement, le modèle de l’EFC rend intrinsèquement possible un système de garanties qui minimise grandement le risque, et permet de dessiner une ingénierie financière innovante et sur-mesure. C’est l’objet initial des travaux de FINEF, qu’il convient de poursuivre pour aboutir à la mise en œuvre effective d’une solution de financement bancaire dédiée à l’EFC.
Dans la lignée des travaux de FINEF, notre troisième proposition consiste à construire avec les acteurs financiers un outil de financement innovant, sous la forme d’un IOBSP (Intermédiaire en Opérations Bancaires – sous contrôle de l’ORIAS), reposant sur une ingénierie financière dédiée aux besoins spécifiques de l’EFC.
L’émergence de métiers et de modèles nouveaux
Sur tous nos territoires, les initiatives sont foisonnantes. La nouvelle génération notamment cherche en premier lieu à donner un sens à son activté professionnelle, et le plus souvent en proposant des solutions innovantes – qu’il s’agisse d’innovations technologiques ou de service. L’une des caractéristiques de ces métiers et modèles nouveaux, c’est la complexité : il ne s’agit plus, le plus souvent, de fabriquer et vendre un produit, mais de combiner plusieurs dimensions économiques, environnementales et sociales qui se nourrissent les unes-les autres, en cherchant à maximiser leur impact, et les externalités positives de leur activité. Une seconde caractéristique largement représentée, c’est la taille modeste du projet, l’objectif n’étant plus de grossir jusqu’à l’introduction en bourse, perspective ultime des start-ups de la tech depuis quelques décennies, mais de créer de la valeur sur et pour le territoire.
C’est pour pouvoir accompagner des petits projets, en industrialisant l’analyse des dossiers, que les banquiers ont développé leurs outils de pré-scoring – qui reposent sur l’analyse statistique des résultats passés. Ces outils s’avèrent impuissants à analyser les projets qui émergent, du fait de leur nouveauté et de leur complexité ; et les analystes ne peuvent allouer le temps qui serait nécessaire à la compréhension profonde de ces projets, trop petits pour cela.
Ils sont nombreux, pourtant, à partager les mêmes objectifs, et les mêmes modèles. A titre d’illustration, les initiatives foisonnent en matière de cyclo-logistique, d’épiceries solidaires, d’ateliers d’up-cycling artistque… Suffisamment nombreux pour que des fédérations voient le jour, qui permettent l’échange de bonnes pratiques et l’accompagnement des projets émergents.
Notre quatrième proposition consiste d’une part à soutenir ces fédérations et le développement de nouvelles, et d’autre part à créer un cadre de coopération volontariste entre le monde bancaire et financier et ces fédérations – qui pourrait aboutir à la rédaction de guides de structuration économique pour les grandes familles de projet qui se multiplient le plus… en prenant garde à ne pas recréer de cadre trop rigide, trop automatique.
Les externalités positives
La question d’une création de valeur plus large, plus diffuse, non monétisée, que l’on désigne par le terme abrupt d’ « externalités positives » , reste un des principaux enjeux de la modélisation économique et financière des projets d’économie circulaire et, plus largement, de transition écologique et solidaire. De manière générale, s’attaquer à la question des externalités devrait sans doute être une priorité absolue, tant elle porte la promesse d’une efficience macro-économique démultipliée. Le cloisonnement des raisonnements économiques, laissant chaque acteur dans son silo, est une source d’absurdités, de gaspillages…
Un mécanisme, encore expérimental, laisse entrevoir une solution adaptée : les contrats à impact social. Avec ce mécanisme, lorsqu’un projet génère de la valeur dont la personne publique – l’Etat, une collectivité locale, l’assurance maladie… – bénéficie in fine, on permet à un partenaire bancaire de financer le porteur de projet, et d’être remboursé par la personne publique (et non le porteur de projet) dès lors que les résultats positifs du projet sont avérés. C’est un mécanisme pour l’instant national, un peu complexe, un peu lourd à mettre en œuvre. La régionalisation de contrats à impact pourrait permettre une mise en œuvre plus agile, plus proche des territoires et de leurs acteurs.
Notre cinquième proposition consiste ainsi à adapter le mécanisme du CIS à l’échelle régionale en conduisant sans attendre, avec les acteurs institutionnels et financiers, une expérimentation en région Provence Alpes Côte d’Azur.